Du côté des champs asbl


Auguste Mouy: aménagement d’une parcelle mémorielle et cérémonie d’hommage

IMG_1305En août 1935, Jeanne-Milleville donne naissance à une petite fille, Anne-Marie.

Cependant, suite à l’accouchement, Jeanne tombe gravement malade et décède le 15 septembre de la même année.

Anne-Marie n’a qu’un mois, elle n’a pas connu sa maman.

Auguste Mouy son mari, est veuf  et Léon son père est malade. Auguste va devoir assumer le travail à la ferme et prendre en charge toute la famille, y compris ses parents à la santé fragile. Ces derniers vont essayer de se rendre utiles en élevant Anne-Marie.

Son frère David est agriculteur, marié et habite le village.

Le 1er septembre 1939, la mobilisation générale est déclarée. L’armée allemande a envahi la Pologne. Cette agression marque le début de la deuxième guerre mondiale.

Le 9 septembre 1939, Auguste est mobilisé et employé comme pionnier. Fin de l’année, il part pour la guerre. Ses parents vont s’occuper d’Anne-Marie et de la ferme. Avant son départ, il fait la connaissance d’Augustine Faidherbe.

Auguste est affecté au 53ème Blon mitrailleurs motorisés Etat-Major.

Auguste est fait prisonnier le 2 juin 1940 à Pont-sur-Madon, il est envoyé au camp de Mirecourt où son sort doit être fixé. Il a l’espoir d’être libéré rapidement. Le temps passe et ça lui semble long surtout qu’il ne fait rien. La nourriture manque mais ce n’est pas grave pourvu que tout ça finisse bien.

Léon, son père, lui apprend que son frère David est prisonnier dans un Stalag allemand.

Auguste est déporté au Stalag XVIIA, et mis à disposition d’un fermier en tant que prisonnier de guerre. Il va séjourner à Kaisersteinbruch, entre Leinz et la frontière tchèque.

En mars 1941, il est transféré dans une autre ferme au Stalag XVIIIA dans les Alpes autrichiennes, à 800 mètres d’altitude. Heureusement, il a de bons contacts avec ses patrons qui ne leur montrent aucune hostilité. En retour, Auguste ne refuse pas de leur rendre service quand l’occasion se présente. Leurs points communs, ce sont la terre et la ferme et tout ce qui gravite autour. En retour de son travail, il ne manque de rien, il mange à sa faim.

Pourtant dans un courrier daté du 16 mai 1943, il déclare qu’il mange du chat et que ce n’est pas mauvais quand c’est bien cuit.

Les taches d’Auguste sont fort diversifiées :

En hiver, il « voiture » du bois avec deux chevaux.

En janvier, il en a fini avec le bois, aussi il commence à épandre le fumier. Il tient le rôle de boucher, il tue le cochon et le veau, il fait du boudin. Le labour reste bref, pas plus de deux jours car les terres de culture sont limitées. Les pâtures se situent principalement à la montagne, les moutons y sont menés en mai et les vaches en juillet pour trois mois.

Auguste aide à la plantation des betteraves, s’attaque aux foins sur la montagne. Chaque matin, il trait les vaches ; en juillet, il a moins de travail car seulement six d’entre elles restent à la ferme.

En septembre, Auguste accompagne son patron à la montagne et ils ramènent les vaches dans la vallée. Puis, c’est la moisson et l’arrachage des pommes de terre. En octobre, c’est au tour des moutons de descendre des alpages, à 2.000 mètres d’altitude. Il faut une demi-journée rien que pour rassembler le troupeau. Le 18 octobre 1942, Auguste avait ramené trois moutons de trop qui n’appartenaient pas à son patron. Son patron en a ri car le propriétaire a dû venir les récupérer à la ferme.

En décembre, Auguste est chargé de descendre du bois de la montagne en traîneau, c’est un travail dangereux. En 1941, il s’est blessé.

Le principal travail d’Auguste consiste à s’occuper de l’étable. Ça lui convient bien car en hiver, il y fait bon.

Il va même jusqu’à offrir un pull-over à sa patronne ainsi que des oignons de tulipe et des graines de Luzerne. Il sait qu’il n’y perdra pas au change.

Auguste se plaît dans « sa » ferme. Il ira même jusqu’à suggérer que son frère David le rejoigne. Ce dernier est prisonnier à Moosburg, au Nord de Munich, au Stalag VIIA.

Auguste n’a pas trop à lutter contre l’ennui car il travaille, comme à la ferme. Le chariot, mener les chevaux, traire les vaches, il connaît, c’est son métier. Cependant, il reconnaît que le travail à la montagne est dur.

Jusqu’en mai 1941, Auguste était seul à la ferme. Par rapport aux kommandos d’usine, il était certainement mieux nourri, cependant, l’isolement dans lequel il vivait devait le faire souffrir moralement. Heureusement pour lui, ses patrons avaient décidé de recruter un second prisonnier. Auguste pense tout naturellement à son frère David et il envoie des lettres en ce sens à ses parents, mais ça ne se fera pas.

Auguste demande qu’on lui envoie du tabac dans ses colis, ça lui permet de tuer le temps quand il ne travaille pas « Moi ici, je suis bien, on mange bien aussi, ne vous privez pas, n’a que le tabac, ça je vous en remercie bien, car vous savez on fume beaucoup car c’est notre seule distraction pour nous ».

Les parents feront tout ce qu’ils pourront au prix de grands sacrifices, même si Auguste leur demandait à chaque fois de ne pas se priver pour lui.

Auguste reçoit aussi des colis de la Croix-Rouge. Le 18 mars 1943, Auguste demande qu’on lui envoie du papier à cigarettes « Ici, on en a plus, on est obligé de fumer du journal ».

Le courrier qu’adresse Auguste à sa famille et à ses amis se veut avant tout rassurant, il ne tient pas à les inquiéter, il sait que pour eux cette séparation est une douleur, pourtant sa maman n’est pas dupe, elle a déjà vécu cela avec Léon et elle écrit « Je sais que quelquefois tu as le cafard et ici combien de fois je pleure seule mais je prie et je reprends courage pour revoir mes fils ».

Dans ses lettres, on retrouve des remerciements à ses proches et ses amis pour le courrier et les colis envoyés, de l’inquiétude sur le sort et la santé de ceux-ci, beaucoup d’espoir dans sa libération et de se retrouver en famille, aussi de pouvoir boire une bonne pinte « Vivement la classe qu’on puisse prendre une bonne pinte de bière ».

Chaque mois, il a droit à deux lettres-formulaires à 3 plis qu’il envoie à ses parents pour leur permettre de répondre. Son frère David a moins de chance, son camp ne lui fournit que peu de papier car en pénurie.

Cet échange de courrier est fort important, c’est le seul lien qui le relie à la famille. Auguste est toujours impatient de recevoir des nouvelles de la famille, de son frère David qui est aussi prisonnier et des amis qui sont rentrés ou encore détenus, et aussi des travaux à la ferme pour les comparer avec ceux des alpages autrichiens.

Une quinzaine sans courrier et c’est l’inquiétude qui gagne. La poste a ses lenteurs et le courrier a parfois du mal à arriver à destination. Les jours d’attente sont longs. Cet éloignement et cette solitude ont permis à Auguste de se rapprocher de Dieu et de renforcer sa foi en lui. Il devient assidu aux offices religieux, jusqu’à les servir comme enfant de chœur. Il sent que cette assiduité lui fait du bien.

 « Le 6.9.42 […] Ce matin, j’ai été à la messe, ça m’a fait plaisir, là on prie on ne cause pas, on peut mieux penser aux siens »

En novembre 1941, il est transféré au Kommando 637L où il ne se plaît guère, il regrette ses anciens patrons.

Et puis, il y a sa fille Anne-Marie qu’il a quittée alors qu’elle n’avait que quatre ans et qu’il n’a plus revue depuis son départ à la guerre, elle a grandi. Il reçoit une photo d’elle le 21 juin 1942 et ne l’a reconnaît pas « Aujourd’hui, j’ai reçu le colis avec les photos. J’ai eu un peu de peine à reconnaitre ma petite fille, mais je ne l’ai pas regardée trop longtemps. Quant aux autres, impossible, voilà trop longtemps que je ne les vois plus pour les reconnaître habillés comme ça »

Anne-Marie va à l’école et apprend à écrire, et le 10 mars 1942, elle inscrit ces quelques mots au bas d’une lettre destinée à Auguste « papa je t’aime et j’attend [sic] ton retour bon baiser mon papa Anne Marie Mouy »

En mars 42, Auguste revient au camp A 641/L chez son ancien patron, il est ravi.

Entre temps, Auguste n’aura de cesse de demander à ses parents d’envoyer des certificats et des attestations prouvant qu’il est agriculteur veuf et soutien de famille. Il vit dans l’espoir d’un retour proche qui durera trois ans.

Il devra encore attendre un an avant d’être relâché en 1943, amis il reste prisonnier et doit répondre régulièrement à l’appel des Allemands basés à Douai.

Dans une lettre, Auguste est tout heureux d’apprendre que Léon avait gardé les chevaux et le chariot, c’est pourtant ce qui fera son malheur en 1944 lorsque les Allemands le réquisitionneront lui et son attelage pour évacuer leur matériel lors de leur fuite vers la Belgique.

Probablement à l’adresse de Léon, Juliette a griffonné quelques mots sur un morceau de papier : « Auguste a partit pour les Allemands le 23 août 1944 ».

Ce jour-là, les Allemands quittent Esquerchin. Auguste est réquisitionné avec plusieurs agriculteurs pour conduire les soldats et leur matériel en Belgique. C’est la débâcle, les Anglais les talonnent.

Vers la fin du mois d’août, le convoi arrive à Thines et se gare derrière le cimetière. Là, les Allemands récupèrent une partie du matériel et abandonnent le convoi et les Français réquisitionnés à leur sort. Les habitants se partageront cette manne inespérée (dont de petits cochons que les Allemands avaient emportés). Onze fermiers français sont présents à Thines. Deux d’entre-eux vont trouver refuge chez Jean-Baptiste VALLONS, deux autres chez Gaston CLEMENT, Auguste MOUY et un camarade au « vieux moulin ».

Durant la nuit, on frappe à la porte de la ferme CASTIAUX. Cécile HOMEZ est la première à atteindre le rez-de–chaussée. Elle entend la voix d’un homme « Nous sommes Français ». Lorsqu’elle ouvre la porte, elle aperçoit les cinq derniers fermiers français qui n’avaient pas trouver où se loger. Elle leur offre le gîte et le couvert le temps nécessaire.

Le dimanche 3 septembre, Auguste MOUY et son camarade sont mis dehors du « vieux moulin » par les propriétaires soi-disant pour faire place aux Allemands. Auguste est en colère, il décide de retourner en France et convainc plusieurs de ses compagnons de l’accompagner.

Il participe encore à la messe de 10 heures. Olga CASTIAUX se rappelle qu’il avait une très belle voix et avait chanté durant tout l’office.

Un peu avant la fin de la messe, vers 11 heures, quelqu’un s’est approché du curé et lui a demandé que les fidèles se séparent car les Allemands allaient faire sauter deux chars dans le village afin que ceux-ci ne tombent pas entre les mains des Français.

Cécile HOMEZ qui était occupée à cuire des pains au four tente en vain de retenir Auguste et ses compagnons et elle leur propose même de rester chez elle le temps que ça se calme et de les nourrir. Cependant, Auguste ne veut rien entendre. Comme personne ne peut le faire changer d’avis, Cécile leur remet de quoi subsister durant le voyage. Après avoir attelé les chevaux au chariot, Auguste se fait expliquer la route par Ernest HARTEMBERG, via de petits chemins.

Finalement, les Allemands n’auront pas le temps de détruire les chars. Vers 13h30, l’aviation alliée passe à l’attaque. Ça tire de tous les côtés.

En face de la ferme CASTIAUX, l’arrière de l’actuel parking, situé à gauche du n° 3 de la rue du Culot, était bordé d’une haie derrière laquelle se cachait une mitrailleuse allemande. L’aviation plongeait en piqué et mitraillait les lieux.

Olga et ses parents s’étaient réfugiés dans une cave, accompagnés par les cinq fermiers français qu’ils hébergeaient.

Le soupirail de la cave n’était pas fermé et une balle avait ricoché et était tombée dans la cave aux pieds d’un des Français.

A la chaussée de Wavre, l’aviation bombarde les convois, une centaine de chevaux sont tués, à hauteur du terrain de Gaston Clément.

Gilbert DEPUYDT se souvient que le 3 septembre 1944, sa famille s’était cachée avec les chevaux durant toute la journée dans le petit bois DUVIVIER pour ne pas que les Allemands les réquisitionnent.

« Vers 18 ou 19 heures, l’aviation alliée (avions à deux queues) s’est mise à mitrailler les convois allemands à la chaussée de Wavre. La route était jonchée de camions et de tanks éventrés. L’aviation tournoyait à l’Est du champ d’aviation, au-dessus de l’endroit où nous étions cachés. Lorsqu’elle aperçût le convoi formé par les fermiers français, elle se mit à le mitrailler à son tour. On recevait les douilles sur la tête, car ils avaient commencé à mitrailler à notre hauteur. Nous avons assisté à la scène, le conducteur d’un chariot avait été touché mortellement à la gorge. Les fermiers s’étaient réfugiés dans les buissons, l’un d’eux s’est mis à agiter un drap blanc et un drapeau français. La victime avait été emmenée chez nous et installée sur un lit dans le hall d’entrée de notre maison. Je me souviens encore que du sang gouttait du lit.

Dans la soirée, une moto transportant deux Allemands est repassée par la ferme Philippart pour constater le désastre ».

A l’époque, Gilbert se souvient que la route était bordée tout le long de vieux saules. Aujourd’hui, il n’en subsiste que quelques exemplaires. Il se rappelle aussi que les avions étaient impressionnants, ils avaient deux queues à l’arrière. En fait, c’étaient des avions bimoteurs américains Lockheed P-38 Lightning (qui signifie foudre).

Le cercueil d’Auguste MOUY sera déposé dans le caveau CASTIAUX en attendant son rapatriement par des résistants français.

IMG_1411L’ASBL « DU COTE DES CHAMPS » a aménagé un lieu de mémoire à l’endroit où Auguste MOUY a été abattu. Le 11 octobre 2014, une cérémonie d’hommage a eu lieu en présence de sa fille et de ses petits-enfants, ainsi que des Autorités communales et militaires et des Associations patriotiques.

 

(Posté le 11/10/2014, Catégorie(s): Commémorations - Sépultures d'intérêt historique)